Courte histoire des Lamentations
De Lamentations de Jérémie.
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== Ce texte n'est pas unique == | == Ce texte n'est pas unique == | ||
- | Le thème des lamentations se retrouve également dans le psaume 79 dont l'écriture est bien antérieure. En voici le texte : | + | Le thème des lamentations se retrouve également dans le psaume 79 dont l'écriture est bien antérieure. En voici le texte<sup>[[#16]]</sup> : |
:1. Dieu | :1. Dieu | ||
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Ce genre de plaintes se retrouve dans différents livres de la Bible, c'est vrai dans le livre de Jérémie aux versets 7:29, 9:9, 9:20 ou 31:15, ensuite dans celui d'Ezéchiel aux versets 2:10, 19:1, 26:17, 27:2, 27:32, 28:12, 32:2 et 16, etc., celui de Joël aux versets 2:12, celui d'Amos aux versets 5:16 et 8:10, celui d'Esther au verset 9:31, celui de Matthieu au verset 2:18, etc. | Ce genre de plaintes se retrouve dans différents livres de la Bible, c'est vrai dans le livre de Jérémie aux versets 7:29, 9:9, 9:20 ou 31:15, ensuite dans celui d'Ezéchiel aux versets 2:10, 19:1, 26:17, 27:2, 27:32, 28:12, 32:2 et 16, etc., celui de Joël aux versets 2:12, celui d'Amos aux versets 5:16 et 8:10, celui d'Esther au verset 9:31, celui de Matthieu au verset 2:18, etc. | ||
- | Les Lamentations de Jérémie sont traditionnellement chantées aussi dans les synagogues et au mur des Lamentations à Jérusalem comme le raconte si bien Pierre Loti dans son compte rendu de son voyage en Palestine en 1894 : ''c’est le vendredi soir, le moment traditionnel où, chaque semaine, les juifs vont pleurer, en un lieu spécial concédé par les Turcs, sur les ruines de ce temple de Salomon'', qui ne sera jamais rebâti. ''Après les terrains'' vides, ''nous atteignons maintenant d’étroites ruelles, jonchées d’immondices, et enfin une sorte d’enclos, rempli du remuement d’une foule étrange qui gémit ensemble à voix basse et cadencée. Déjà commence le vague crépuscule. Le fond de cette place, entourée de sombres murs, est fermé, écrasé par une formidable construction salomonienne, un fragment de l’enceinte du Temple, tout en blocs monstrueux et pareils. | + | Les Lamentations de Jérémie sont traditionnellement chantées aussi dans les synagogues et au mur des Lamentations à Jérusalem comme le raconte si bien Pierre Loti dans son compte rendu de son voyage en Palestine<sup>[[#17]]</sup> en 1894 : ''c’est le vendredi soir, le moment traditionnel où, chaque semaine, les juifs vont pleurer, en un lieu spécial concédé par les Turcs, sur les ruines de ce temple de Salomon'', qui ne sera jamais rebâti. ''Après les terrains'' vides, ''nous atteignons maintenant d’étroites ruelles, jonchées d’immondices, et enfin une sorte d’enclos, rempli du remuement d’une foule étrange qui gémit ensemble à voix basse et cadencée. Déjà commence le vague crépuscule. Le fond de cette place, entourée de sombres murs, est fermé, écrasé par une formidable construction salomonienne, un fragment de l’enceinte du Temple, tout en blocs monstrueux et pareils. |
Contre la muraille du Temple, contre le dernier débris de leur splendeur passée, ce sont les lamentations de Jérémie qu’ils redisent tous, avec des voix qui chevrotent en cadence, au dandinement rapide des corps.'' | Contre la muraille du Temple, contre le dernier débris de leur splendeur passée, ce sont les lamentations de Jérémie qu’ils redisent tous, avec des voix qui chevrotent en cadence, au dandinement rapide des corps.'' | ||
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Avec le troisième, la clarté ou l'espoir commence à poindre. L'auteur médite sur la soumission au jugement de Dieu, sur sa confiance en sa miséricorde, et se recueille profondément. Malgré la cruelle punition infligée à la ville sainte (versets 3:1 à 21), Jérusalem, l'auteur redit sa confiance en Dieu pour écraser ses ennemis (versets 3:22 à 66). C'est le thème du chapitre 3. | Avec le troisième, la clarté ou l'espoir commence à poindre. L'auteur médite sur la soumission au jugement de Dieu, sur sa confiance en sa miséricorde, et se recueille profondément. Malgré la cruelle punition infligée à la ville sainte (versets 3:1 à 21), Jérusalem, l'auteur redit sa confiance en Dieu pour écraser ses ennemis (versets 3:22 à 66). C'est le thème du chapitre 3. | ||
- | Au chapitre IV, l'auteur se replonge dans le souvenir de toutes les horreurs du siège de Jérusalem, relate le triste sort réservé aux nobles et aux princes de Jérusalem (versets 4:1 à 12), à cause des iniquités des prêtres et des faux prophètes qui ont engendré le courroux divin (versets 4:13 à 20), les deux derniers versets (4:21 et 22) étant une menace à l'adresse du peuple de l'Idumée. | + | Au chapitre IV, l'auteur se replonge dans le souvenir de toutes les horreurs du siège de Jérusalem, relate le triste sort réservé aux nobles et aux princes de Jérusalem (versets 4:1 à 12), à cause des iniquités des prêtres et des faux prophètes qui ont engendré le courroux divin (versets 4:13 à 20), les deux derniers versets (4:21 et 22) étant une menace à l'adresse du peuple de l'Idumée<sup>[[#18]]</sup>. |
La prière du dernier chapitre évoque d'une façon émouvante les malheurs d'Israël sous l'oppression des Egyptiens et des Assyriens (versets 5:1 à 18) et le prophète Jérémie sollicite l'aide de Dieu avec insistance pour qu'il daigne rétablir Jérusalem dans son ancienne splendeur (versets 5:19 à 22). | La prière du dernier chapitre évoque d'une façon émouvante les malheurs d'Israël sous l'oppression des Egyptiens et des Assyriens (versets 5:1 à 18) et le prophète Jérémie sollicite l'aide de Dieu avec insistance pour qu'il daigne rétablir Jérusalem dans son ancienne splendeur (versets 5:19 à 22). | ||
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L'acrostiche incantatoire représente pour le compositeur, à partir du moyen âge, une occasion de laisser libre cours à son imagination créatrice en annonçant le texte qui suit mais en s'écartant de la rigueur de son contenu. Il fait presque toujours l'objet de mélismes, longs ou courts, sous forme de vocalises très élaborées à une ou plusieurs voix. | L'acrostiche incantatoire représente pour le compositeur, à partir du moyen âge, une occasion de laisser libre cours à son imagination créatrice en annonçant le texte qui suit mais en s'écartant de la rigueur de son contenu. Il fait presque toujours l'objet de mélismes, longs ou courts, sous forme de vocalises très élaborées à une ou plusieurs voix. | ||
- | La reprise partielle des textes et leur répartition sur les leçons des premiers Nocturnes de chacun de ces trois jours permettent de voir le désolant spectacle qu'offrit la ville de Jérusalem, lorsque son peuple eut été emmené captif à Babylone, en punition de son idolâtrie. Les trois premières leçons du 1er Nocturne du Jeudi Saint et les deux premières de celle du Vendredi Saint expriment la colère de Dieu empreinte sur ces ruines que Jérémie déplore avec des paroles si vraies et si terribles. Dans la troisième leçon du 1er Nocturne du Vendredi Saint, Jérémie change de sujet. Selon l'usage de tous les Prophètes, il s'interrompt pour parler du Messie, la grande préoccupation d'Israël. Mais ce n'est pas le Messie triomphant qu'il offre à nos regards, c'est le Fils de l'homme, objet du courroux de Dieu, parce qu'il porte en lui les péchés du monde entier. La première leçon du 1er Nocturne du Samedi Saint se rapporte encore au Christ. Elle exprime sa fidélité à Dieu et sa touchante résignation. Les soufflets qu'il reçut durant sa Passion y sont prédits. La seconde leçon reprend le ton de l'élégie sur les malheurs de Jérusalem et la gravité des crimes de cette cité ingrate y est exprimée dans les termes les plus énergiques. La dernière leçon est formée d'une partie de la prière que Jérémie adresse à Dieu pour le peuple Juif, après l'avoir vu emmener en captivité. Rien n'égale la désolation du tableau qu'elle retrace des infortunes auxquelles est en proie la nation déicide . | + | La reprise partielle des textes et leur répartition sur les leçons des premiers Nocturnes de chacun de ces trois jours permettent de voir le désolant spectacle qu'offrit la ville de Jérusalem, lorsque son peuple eut été emmené captif à Babylone, en punition de son idolâtrie. Les trois premières leçons du 1er Nocturne du Jeudi Saint et les deux premières de celle du Vendredi Saint expriment la colère de Dieu empreinte sur ces ruines que Jérémie déplore avec des paroles si vraies et si terribles. Dans la troisième leçon du 1er Nocturne du Vendredi Saint, Jérémie change de sujet. Selon l'usage de tous les Prophètes, il s'interrompt pour parler du Messie, la grande préoccupation d'Israël. Mais ce n'est pas le Messie triomphant qu'il offre à nos regards, c'est le Fils de l'homme, objet du courroux de Dieu, parce qu'il porte en lui les péchés du monde entier. La première leçon du 1er Nocturne du Samedi Saint se rapporte encore au Christ. Elle exprime sa fidélité à Dieu et sa touchante résignation. Les soufflets qu'il reçut durant sa Passion y sont prédits. La seconde leçon reprend le ton de l'élégie sur les malheurs de Jérusalem et la gravité des crimes de cette cité ingrate y est exprimée dans les termes les plus énergiques. La dernière leçon est formée d'une partie de la prière que Jérémie adresse à Dieu pour le peuple Juif, après l'avoir vu emmener en captivité. Rien n'égale la désolation du tableau qu'elle retrace des infortunes auxquelles est en proie la nation déicide<sup>[[#19]]</sup>. |
== Jerusalem, convertere ad Dominum Deum tuum == | == Jerusalem, convertere ad Dominum Deum tuum == | ||
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On aurait pu reprendre le verset 21 du chapitre V des Lamentations dont le début du texte "''Fais-nous revenir vers toi, ô Éternel''" rappelle le même sujet c'est-à-dire au retour du peuple vers Dieu. | On aurait pu reprendre le verset 21 du chapitre V des Lamentations dont le début du texte "''Fais-nous revenir vers toi, ô Éternel''" rappelle le même sujet c'est-à-dire au retour du peuple vers Dieu. | ||
- | Cet appel est une réponse aux évocations terribles des lamentations. Mais finalement c'est le texte d'Osée qui a été retenu. Il appelle au repentir : ''Reviens Israël près de Jahvé ton Dieu car tu as trébuché sur ta faute''. La traduction latine a préféré utiliser le mot ''convertere'' pour appeler le peuple juif à se convertir au Seigneur et à se faire baptiser dans le Christ. Selon Frans C. Lemaire, dont le dessein dans son ouvrage était de démontrer la fatale destinée juive, ''il faut interpréter cet appel à la conversion des Juifs dans le triple contexte de l'antijudaïsme théologique dans le débat d'idées, de sa réception populaire dans la réalité historique et d'une évolution qui va faire du judaïsme, entre le | + | Cet appel est une réponse aux évocations terribles des lamentations. Mais finalement c'est le texte d'Osée qui a été retenu. Il appelle au repentir : ''Reviens Israël près de Jahvé ton Dieu car tu as trébuché sur ta faute''. La traduction latine a préféré utiliser le mot ''convertere'' pour appeler le peuple juif à se convertir au Seigneur et à se faire baptiser dans le Christ. Selon Frans C. Lemaire<sup>[[#20]]</sup>, dont le dessein dans son ouvrage était de démontrer la fatale destinée juive, ''il faut interpréter cet appel à la conversion des Juifs dans le triple contexte de l'antijudaïsme théologique dans le débat d'idées, de sa réception populaire dans la réalité historique et d'une évolution qui va faire du judaïsme, entre le XIII<sup>e</sup> et le XVI<sup>e</sup> siècle, l'ennemi principal du christianisme''. Mais c'est là une interprétation qui n'engage que son auteur. Toutefois, il faut bien admettre que cette proclamation reproduisait une forte tension entre l'Église catholique et la communauté juive, la destruction des exemplaires du Talmud depuis le XIIIe siècle étant une traduction de cette tension. |
- | D'ailleurs, deux siècles plus tard, le cardinal Pietro Ottoboni (1667-1740), poète et dramaturge aimant le faste, continue le combat contre la communauté juive en accentuant encore plus les traductions (italiennes) des textes de Jérémie et d'Osée. C'est ainsi que l'on trouve dans le livret de son oratorio ''Per la Passione di Nostro Signor Gesù Cristo : La Colpa, il Pentimento, la Grazia'' (le Péché, le Repentir et la Grâce), livret écrit en 1706-07, oratorio composé par Alessandro Scarlatti et exécuté le mercredi saint de l'année suivante , des textes lourds d'accusation : | + | D'ailleurs, deux siècles plus tard, le cardinal Pietro Ottoboni (1667-1740), poète et dramaturge aimant le faste, continue le combat contre la communauté juive en accentuant encore plus les traductions (italiennes) des textes de Jérémie et d'Osée. C'est ainsi que l'on trouve dans le livret de son oratorio ''Per la Passione di Nostro Signor Gesù Cristo : La Colpa, il Pentimento, la Grazia'' (le Péché, le Repentir et la Grâce), livret écrit en 1706-07, oratorio composé par Alessandro Scarlatti et exécuté le mercredi saint de l'année suivante<sup>[[#21]]</sup>, des textes lourds d'accusation : |
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- | ! '''Texte biblique''' (trad. E. Dhorme, La Pléiade)!! '''Texte italien du cardinal P. Ottoboni''' (trad. F. Lemaire) | + | ! '''Texte biblique''' (trad. E. Dhorme, La Pléiade<sup>[[#20]]</sup>)!! '''Texte italien du cardinal P. Ottoboni''' (trad. F. Lemaire) |
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|'''Lamentation 1:1''' – Comme elle est assise à l'écart la ville populeuse... | |'''Lamentation 1:1''' – Comme elle est assise à l'écart la ville populeuse... | ||
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<span id="15"><small>''15. Ce cas n'a rien d'exceptionnel, puisque Jean Cassou, poète et écrivain, avait composé ses ''Trente-trois sonnets composés au secret'', de tête, car il n'a pas le droit d'écrire, au cours des 66 nuits passées au secret à la prison de Furgole, à Toulouse.</small></span> | <span id="15"><small>''15. Ce cas n'a rien d'exceptionnel, puisque Jean Cassou, poète et écrivain, avait composé ses ''Trente-trois sonnets composés au secret'', de tête, car il n'a pas le droit d'écrire, au cours des 66 nuits passées au secret à la prison de Furgole, à Toulouse.</small></span> | ||
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+ | <span id="16"><small>''16. La Bible "des écrivains". Bayard, Paris. Mediaspaul, Montréal. 2001.</small></span> | ||
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+ | <span id="17"><small>''17. ''Jérusalem'', Pierre Loti, Éd. Nelson, Paris, s.d.</small></span> | ||
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+ | <span id="18"><small>''18. ''Idumée'' : nom ancien du pays d'Edom ou sud de la Judée. Les édomites qui peuplent ce pays étaient soumis à Israël par David.</small></span> | ||
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+ | <span id="19"><small>''19. ''L'Année Liturgique, La Passion et la Semaine Sainte'', R. P. Dom Prosper Guéranger, Paris, 1892.</small></span> | ||
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+ | <span id="20"><small>''20. ''Le destin juif et la musique, trois mille ans d'histoire'', Frans C. Lemaire, Les Chemins de la musique, Fayard, Paris, 2001, p. 153.</small></span> | ||
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+ | <span id="21"><small>''21. L'ensemble ''La Stagione'' de Francfort sous la direction de Michael Schneider a enregistré cette œuvre en 1991 (Capriccio).</small></span> | ||
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+ | <span id="22"><small>''22. ''La Bible. L'Ancien Testament'', Edouard Dhorme, Éd. La Pléiade, NRF, 1956.</small></span> | ||
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+ | <span id="1"><small>''1. Texte</small></span> | ||
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+ | <span id="1"><small>''1. Texte</small></span> |