Les Offices des Ténèbres après la grande époque
De Lamentations de Jérémie.
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Maintenant, ce sont les concerts et autres spectacles qui prennent le relais pour redonner, d'ailleurs très souvent dans les églises et cathédrales, les œuvres polyphoniques du patrimoine artistique religieux. Alors, nous voyons, ici ou là, à l'appui des concerts dans les églises ou les théâtres, des reconstitutions toujours entachées d'erreur des cérémonies des ''Leçons des Ténèbres''. Des cierges sont parfois allumés. Seuls les artistes bénéficient d'une lumière pour suivre la partition. Quelquefois même, on va même jusqu'à éteindre des cierges après une Leçon (et non après un psaume comme c'est prévu par le cérémonial). Ces concerts, sortis du contexte, en imitant ou en rappelant les rites ecclésiastiques, même s'ils se déroulent dans les églises, sont une véritable singerie de la liturgie et un véritable outrage au caractère original purement religieux<sup>[[#18]]</sup>. | Maintenant, ce sont les concerts et autres spectacles qui prennent le relais pour redonner, d'ailleurs très souvent dans les églises et cathédrales, les œuvres polyphoniques du patrimoine artistique religieux. Alors, nous voyons, ici ou là, à l'appui des concerts dans les églises ou les théâtres, des reconstitutions toujours entachées d'erreur des cérémonies des ''Leçons des Ténèbres''. Des cierges sont parfois allumés. Seuls les artistes bénéficient d'une lumière pour suivre la partition. Quelquefois même, on va même jusqu'à éteindre des cierges après une Leçon (et non après un psaume comme c'est prévu par le cérémonial). Ces concerts, sortis du contexte, en imitant ou en rappelant les rites ecclésiastiques, même s'ils se déroulent dans les églises, sont une véritable singerie de la liturgie et un véritable outrage au caractère original purement religieux<sup>[[#18]]</sup>. | ||
- | Et ces Lamentations sont chantées quelquefois au moment de la Semaine Sainte, mais le plus souvent à n'importe quelle période de l'année, dans le cadre d'un festival (''Semana de Música Religiosa'' de Cuenca pour une intégrale de ''l'Officium Hebdomadae Sanctae'' de [[ | + | Et ces Lamentations sont chantées quelquefois au moment de la Semaine Sainte, mais le plus souvent à n'importe quelle période de l'année, dans le cadre d'un festival (''Semana de Música Religiosa'' de Cuenca pour une intégrale de ''l'Officium Hebdomadae Sanctae'' de [[Tomàs Luis da Victoria]], ''Revivance du Patrimoine en pays Luynois'' pour ''Les Lamentations de Jérémie le Prophète'' de [[Bernhard Ycaert]] et d'[[Alexandre Agricola]] par exemple) ou de concerts (les Concerts Parisiens pour les ''Leçons de Ténèbres'' de [[Marc-Antoine Charpentier]] ou [[François Couperin]] autre exemple). |
- | Le spectacle est dans la salle, mais plus dans les églises. C'est ce qu'a fait le russe Anatoli Vassiliev, en mettant en scène les Lamentations de Jérémie, avec la musique d'un autre russe, Vladimir Martinov, représentation d'une heure quarante-cinq minutes chantée en slavon par des acteurs revêtus de costumes religieux, au théâtre École d'Art Dramatique de Moscou, en 1996 (qui obtiendra le Prix National de Théâtre de la Russie et Masque d'Or). Ce spectacle sera repris au Festival d'Avignon l'année suivante. Jean-Pierre Leonardini, dans l'Humanité du 15 juillet 1997, ne se pose-t-il pas la question de savoir si le théâtre vient du sacré, l'exposition d'un rituel du théâtre ? Oui, à condition qu'un subtil décalage laisse du jour entre les formes [exprimées]. | + | Le spectacle est dans la salle, mais plus dans les églises. C'est ce qu'a fait le russe Anatoli Vassiliev, en mettant en scène les ''[[Lamentations]] de Jérémie'', avec la musique d'un autre russe, [[Vladimir Martinov]], représentation d'une heure quarante-cinq minutes chantée en slavon par des acteurs revêtus de costumes religieux, au théâtre École d'Art Dramatique de Moscou, en 1996 (qui obtiendra le Prix National de Théâtre de la Russie et Masque d'Or). Ce spectacle sera repris au Festival d'Avignon l'année suivante. Jean-Pierre Leonardini, dans l'Humanité du 15 juillet 1997, ne se pose-t-il pas la question de savoir si le théâtre vient du sacré, l'exposition d'un rituel du théâtre ? ''Oui, à condition qu'un subtil décalage laisse du jour entre les formes'' [exprimées]. |
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- | 5:1 Hé toi, grand frère Éternel, regard' nous ! Vis' où on est planqué ! | + | Mais le plus inattendu nous attend peut-être avec l'introduction de la musique populaire pour en faire une musique religieuse. N'a-t-on pas condamné en son temps les ''Kyriales'' basés sur des chants populaires (messes ''La Bataille, Sur le Pont d'Avignon, L'Homme armé, M'amie un jour, O gente brunette, Malheur me bat, Bergerette savoyenne, Tant plus je mets, De mes ennuys, Je n'ay dueul, Pourquoy non, Se la face ay pâle'' et bien d'autres encore) ! |
- | 5:2 C'est la dèch', nos appart' sans déconnés sont payés à des fonboux, à des bourges ; on n'est pas des clandos mais ils nous mett'nt la carott' ; ces gens-là ont plus de vice que l'dealer d' ma rue. | + | |
- | 5:3 Nous sommes sans un, sans patrie, et nos femelles sont comm' des veuves ou des cegars. | + | Alors, face à une telle dévastation du chant sacré, pourquoi pas une Lamentation<sup>[[#19]]</sup> sur du rap comme celle-ci : |
- | 5:4 On casqu' notr' teillebou à grands coups de tunes, et on s'chauff' comm' on peut sans neuthu ; j'ai trop l'sème. | + | |
- | 5:5 La loi, on s'en cogn', ell' nous persécut' ; on est nas', chiré, ratissé, assommé, dans la zermi ; tout déferlor'. | + | :- 5:1 Hé toi, grand frère Éternel, regard' nous ! Vis' où on est planqué ! |
- | 5:6 On a tendu la pogne sans rien mouf'ter, pour vivr' la vie des babtous, mais ils sont imbitables, c'est galèr', c'est lassedeg, on a foiré. | + | :- 5:2 C'est la dèch', nos appart' sans déconnés sont payés à des fonboux, à des bourges ; on n'est pas des clandos mais ils nous mett'nt la carott' ; ces gens-là ont plus de vice que l'dealer d' ma rue. |
- | 5:7 Nos pères ont été cons de se ram'ner ici, ils ne sont plus ; et nous, on est comm' des bolos, on pein' comm' eux avant, dans l'deblé. | + | :- 5:3 Nous sommes sans un, sans patrie, et nos femelles sont comm' des veuves ou des cegars. |
- | 5:8 Des salauds nous minent, nous dominent, nous taxent, nous filent des mandales, et personne ne nous donn' la pogne ; tout le mond' se vesqui. | + | :- 5:4 On casqu' notr' teillebou à grands coups de tunes, et on s'chauff' comm' on peut sans neuthu ; j'ai trop l'sème. |
- | 5:9 On boulott', on trafiqu', on nesbi, on y paum' notr' peau, on est peac' mais sans espoir, sans av'nir, on n' peut pas s'arracher ; c'est nimportenawaque, je m'fais yèche. | + | :- 5:5 La loi, on s'en cogn', ell' nous persécut' ; on est nas', chiré, ratissé, assommé, dans la zermi ; tout déferlor'. |
- | 5:10 Notr' rac' fait fissa par la violenc' de notre faim de respirer, de vivre. | + | :- 5:6 On a tendu la pogne sans rien mouf'ter, pour vivr' la vie des babtous, mais ils sont imbitables, c'est galèr', c'est lassedeg, on a foiré. |
- | 5:11 Vous avez maté nos meufs dans vos putains de villes ; elles sont à walpé. | + | :- 5:7 Nos pères ont été cons de se ram'ner ici, ils ne sont plus ; et nous, on est comm' des bolos, on pein' comm' eux avant, dans l'deblé. |
- | 5:12 Nos chefs ont été chopés par les babylons, et les yeuves ont été tatanés graves. | + | :- 5:8 Des salauds nous minent, nous dominent, nous taxent, nous filent des mandales, et personne ne nous donn' la pogne ; tout le mond' se vesqui. |
- | 5:13 Notr' race port' le poids, et nos zyvas plient sous les beign's. | + | :- 5:9 On boulott', on trafiqu', on nesbi, on y paum' notr' peau, on est peac' mais sans espoir, sans av'nir, on n' peut pas s'arracher ; c'est nimportenawaque, je m'fais yèche. |
- | 5:14 Les darons n'sont plus aux lourdes ; on a zébai notre zicmu. | + | :- 5:10 Notr' rac' fait fissa par la violenc' de notre faim de respirer, de vivre. |
- | 5:15 De nos cœurs, la joie a cessé, nos raps sont des raps de crevé. | + | :- 5:11 Vous avez maté nos meufs dans vos putains de villes ; elles sont à walpé. |
- | 5:16 On s'est banané. Malheur à nous ! C'te latche qu'on a parc' qu'on a été blaireaux, baltringues ! | + | :- 5:12 Nos chefs ont été chopés par les babylons, et les yeuves ont été tatanés graves. |
- | 5:17 Je n'pipeaute pas, c'est votr' faute si notr' rac' crèv', c'est pour ça qu'on mat' bézef. | + | :- 5:13 Notr' race port' le poids, et nos zyvas plient sous les beign's. |
- | 5:18 C'est à cause de notr' cité, on y lanc' des pavasses, et qui est maintenant écartée, tellement que les keufs, les keumés, les babtous, les pailles, les zombos ne s'y raboul' plus. | + | :- 5:14 Les darons n'sont plus aux lourdes ; on a zébai notre zicmu. |
- | 5:19 Mais toi, grand frère Éternel ! Tu es toujours avec nous, et ton trône, personn' n'ira te l'chouraver. | + | :- 5:15 De nos cœurs, la joie a cessé, nos raps sont des raps de crevé. |
- | 5:20 Pourquoi nous lâches-tu aux mains d'ces bouffons, pourquoi nous saques-tu ? | + | :- 5:16 On s'est banané. Malheur à nous ! C'te latche qu'on a parc' qu'on a été blaireaux, baltringues ! |
- | 5:21 Fais-nous rentrer dans ton cœur, grand frère Éternel, et nous serons avec toi ! Fil'-nous les joies comm' avant ! Qu'on n' morfl' plus. | + | :- 5:17 Je n'pipeaute pas, c'est votr' faute si notr' rac' crèv', c'est pour ça qu'on mat' bézef. |
- | 5:22 Nous aurais-tu lourdés ? Serais-tu zéref contre nous à l'excès ? | + | :- 5:18 C'est à cause de notr' cité, on y lanc' des pavasses, et qui est maintenant écartée, tellement que les keufs, les keumés, les babtous, les pailles, les zombos ne s'y raboul' plus. |
- | On reste dans le ton. Mais avec le | + | :- 5:19 Mais toi, grand frère Éternel ! Tu es toujours avec nous, et ton trône, personn' n'ira te l'chouraver. |
+ | :- 5:20 Pourquoi nous lâches-tu aux mains d'ces bouffons, pourquoi nous saques-tu ? | ||
+ | :- 5:21 Fais-nous rentrer dans ton cœur, grand frère Éternel, et nous serons avec toi ! Fil'-nous les joies comm' avant ! Qu'on n' morfl' plus. | ||
+ | :- 5:22 Nous aurais-tu lourdés ? Serais-tu zéref contre nous à l'excès ? | ||
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+ | On reste dans le ton. Mais avec le XX<sup>e</sup> siècle, comme l'écrit Jacques Viret, la tendance ''dispersive'' ou extravertie de la musique moderne s'oppose à la ''concentration'' introspective, contemplative, unitive, de la monodie modale<sup>[[#20]]</sup>. | ||
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:<span style="color:#808080;"><span id="17">'''17'''. ''http://www.dici.org/thomatique.php''</span> | :<span style="color:#808080;"><span id="17">'''17'''. ''http://www.dici.org/thomatique.php''</span> | ||
:<span style="color:#808080;"><span id="18">'''18'''. ''Voir par exemple, Festival de Musique de Besançon 2001, concert du 28 septembre à la cathédrale Saint-Jean.''</span> | :<span style="color:#808080;"><span id="18">'''18'''. ''Voir par exemple, Festival de Musique de Besançon 2001, concert du 28 septembre à la cathédrale Saint-Jean.''</span> | ||
- | :<span style="color:#808080;"><span id=" | + | :<span style="color:#808080;"><span id="19">'''19'''. ''Lamentations d'un zonard, © 2006 – Georges Fréhel.''</span> |
- | :<span style="color:#808080;"><span id=" | + | :<span style="color:#808080;"><span id="20">'''20'''. ''Musique vocale de la Renaissance italienne. Jacques Viret, Marie-Danielle Audbourg-Popin, Philippe Canguilhem, Isabelle His. Presses Universitaires de Strasbourg, Editions A Cœur Joie, Lyon, 1992, p. 87.''</span> |
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