Alessandro Della Ciaja

De Lamentations de Jérémie.

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"On peut retrouver le même effet - ample perspective suivie d'une scène plus intime - dans les leçons du Vendredi saint. Les leçons du Samedi saint ont une structure différente: la Leçon 1 offre une certaine consolation dans la bonté du Seigneur ; les Leçons 2 et 3 décrivent les misères de l'esclavage devant être endurées pour la purification des péchés du père. Tous les textes partagent l'usage des lettres de l'alphabet hébraïque ponctuant les versets et l'addition d'une exhortation finale du livre d'Osée, ''Jérusalem, reviens à l'Éternel, ton Dieu''.
"On peut retrouver le même effet - ample perspective suivie d'une scène plus intime - dans les leçons du Vendredi saint. Les leçons du Samedi saint ont une structure différente: la Leçon 1 offre une certaine consolation dans la bonté du Seigneur ; les Leçons 2 et 3 décrivent les misères de l'esclavage devant être endurées pour la purification des péchés du père. Tous les textes partagent l'usage des lettres de l'alphabet hébraïque ponctuant les versets et l'addition d'une exhortation finale du livre d'Osée, ''Jérusalem, reviens à l'Éternel, ton Dieu''.
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"Della Ciaia a dû penser que les Lamentations convenaient particulièrement aux religieuses car l’espace conventuel protecteur et souvent magnifique était perçu comme une ''nouvelle Jérusalem'', un avant-goût du paradis sur terre. Dans ce sillage symbolique, les voix de femmes chantant à l'intérieur du cloître, sont souvent comparées à celles des chœurs angéliques. Qui, mieux que les habitantes de la Jérusalem terrestre, pourrait incarner la ville elle-même pleurant sur son sort ? La situation est des plus appropriées : des femmes enfermées entre quatre murs et consacrées à la souffrance, réfléchissant sur la tragédie d'une perspective personnelle, transformant à l'occasion la voix d'un récitant ostensiblement masculin en la leur, quand elles déplorent des conditions qui pourraient refléter la réalité de la vie monastique... En composant ces neuf leçons de ténèbres pour soprano, Della Ciaia donne à une simple religieuse la possibilité d'exprimer à haute voix la douleur de son entière communauté pour la mort du Christ.
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"Le compositeur pense que les Lamentations conviennent particulièrement aux religieuses car l’espace conventuel protecteur et souvent magnifique est perçu comme une ''nouvelle Jérusalem'', un avant-goût du paradis sur terre. Dans ce sillage symbolique, les voix de femmes chantant à l'intérieur du cloître, sont souvent comparées à celles des chœurs angéliques. Qui, mieux que les habitantes de la Jérusalem terrestre, pourrait incarner la ville elle-même pleurant sur son sort ? La situation est des plus appropriées : des femmes enfermées entre quatre murs et consacrées à la souffrance, réfléchissant sur la tragédie d'une perspective personnelle, transformant à l'occasion la voix d'un récitant ostensiblement masculin en la leur, quand elles déplorent des conditions qui pourraient refléter la réalité de la vie monastique... En composant ces neuf leçons de ténèbres pour soprano, Della Ciaia donne à une simple religieuse la possibilité d'exprimer à haute voix la douleur de son entière communauté pour la mort du Christ.
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"Les Lamentations offrent un témoignage convaincant de l'excellente instruction que reçoivent les Siennoises au couvent. L’œuvre est conçue pour une interprète ayant un registre de deux octaves, possédant une qualité dramatique lui permettant de déclamer des phrases avec force et une technique capable de faire jaillir une pluie de mélismes éblouissants. Une page (Vendredi saint, Leçon 3) requiert l'exécution de trilles. Les deux styles de chant - dramatique et virtuose - exigent de l'interprète une grande souplesse dans le traitement du rythme et du tempo.
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"Afin de rendre toute l'expressivité de l'œuvre, le compositeur recourt à plusieurs techniques musicales. L’une des plus fréquentes consiste en un brusque changement d’harmonie. Ce qui arrive souvent en relation avec des idées de transformation ou modification, par exemple dans la Leçon 2 du Samedi Saint sur ''mutatus'' (changer) dans la phrase ''Comme peut se ternir un or, comme peut changer l'or pur''. On le constate aussi dans des vers ayant des images extrêmement poignantes ou puissantes, par exemple dans la Leçon 1 du Jeudi saint : ''Elle pleure amèrement dans la nuit et les larmes coulent sur ses joues, nul ne la console de tous ceux qui l'aiment''. Le compositeur fait usage d'altérations chromatiques (sans changement de clé) pour illustrer un texte traitant de la douleur, de la souffrance, des larmes et de l'obscurité ; fréquemment, des dissonances saisissantes animent aussi la musique. Nous pouvons trouver un passage frappant et coloré réunissant toutes ces techniques dans le texte souvent mis en musique, ''O vos omnes'' de la troisième Leçon du Jeudi saint : ''Ô vous qui passez votre chemin, regardez et voyez s’il est une douleur comme ma douleur'' (v. 1:12).
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"Le compositeur est également concerné par la tessiture vocale. Dans le 6<sup>e</sup> verset de la Leçon 3 du Vendredi saint, on entend la plainte du récitant que l'on a fait rester ''dans l'obscurité, comme des morts depuis longtemps''. Sur ces mots, le compositeur écrit une musique obligeant la chanteuse à plonger au plus profond, au plus sombre de son registre. L’inverse a lieu dans la Leçon 3 du Samedi saint, où la soprano atteint la limite supérieure de sa tessiture et chante en longues notes répétées ''dans le désert'' en évoquant peut être la voix criant dans un paysage désolé. La Leçon 2 du jeudi saint contient aussi un passage remarquable où la soliste parcourt un intervalle descendant de dixième en pleurant sur sa chute, sans la moindre consolation ; le compositeur accentue sa solitude en réduisant l'accompagnement au silence.
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"Les passages mélismatiques sont fréquents et souvent utilisés pour la peinture de mots ; par exemple, pour exprimer le pain que l'on rompt (''frangeret'') dans la Leçon 2 du Samedi saint ou la fureur de la tempête (''tempesta'') dans la Leçon 3 du Samedi saint. Mais c'est pour les lettres hébraïques que le compositeur réserve une partie de la musique la plus virtuose : la chanteuse a alors l'occasion de faire montre de toute son agilité vocale, parfois sur des accords se mouvant lentement (Vendredi saint, Leçon 3, Beth) ou bien en duo avec un continuo énergique qui fonctionne comme une seconde voix plutôt qu'une basse génératrice d'harmonie (Samedi saint, Leçon 1, ''Teth''). Dans les passages où le continuo joue simplement des accords et où la chanteuse est le seul centre d'attention, le compositeur obtient un effet intense dans le gémissement douloureux de l'endeuillée, qui est au-delà de toute parole. L’exhortation finale ''Jérusalem, convertere ad Dominum Deum'' permet également à l'interprète de faire valoir sa formation et sa technique. La composition de ce passage de la 1<sup>ère</sup> Leçon du Samedi saint est remarquable par la façon dont le compositeur agence une tessiture très haute, un chromatisme (soulignant l’idée de conversion) et l’exécution rapide d’un mélisme.
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Version du 24 avril 2016 à 07:32

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